Observatoire de la Dynamique Côtière de Guyane

DYnamiques, Adaptabilité et vulnérabilité des sociétés du Littoral de l’Ouest Guyanais face au changement côtier.

 

Résumé du projet : Le projet se propose de contribuer à une meilleure compréhension des phénomènes d’instabilité côtière dans l’ouest guyanais, de la perception qu’en ont les populations concernées et de leur capacité à s’y adapter, dans la diversité des réponses qu’elles apportent.
Il s’attache aussi à interroger la construction de la notion de vulnérabilité et son application, dans plusieurs populations qui ont développé dans leur histoire un rapport à l’environnement spécifique et qui s’inscrivent dans des modes différents de gestion de l’aléa et de l’espace. Programmé sur une durée de deux ans, ce projet interdisciplinaire rassemble des chercheur(e)s en anthropologie, histoire, géographie, écologie marine et géomorphologie.

Projet porté par : Marianne Palisse (Université de Guyane)


Dans le cadre de la Pépinière Interdisciplinaire de Guyane, le projet DYALOG a été retenu pour l’année 2017. Le projet regroupe 9 personnes issues de 7 structures différentes.

Les côtes de Guyane, dominées par les écosystèmes à mangrove, sont parmi les zones habitées dont le trait de côte est le plus mobile du monde. La dynamique des bancs de vases venus de l’Amazone conditionne les changements du trait de côte et la mise en place ou la disparition des forêts de mangrove, et module l’exposition aux risques d’érosion-submersion des territoires littoraux. Ces transformations menacent des villages, des quartiers urbains, et des secteurs de l’activité économique.

De quelle manière les populations vivent-elles ces changements qui affectent leur environnement ? Quelles connaissances en ont-elles et quelles stratégies mettent-elles en œuvre pour y faire face ? Au-delà, quelle lecture peut-on faire aujourd’hui des « modes d’habiter » ces territoires, à l’ère de la mondialisation et des grandes transformations écologiques ?
Confrontées au risque, les sociétés développent des comportements différents, qui traduisent des manières spécifiques de penser collectivement le monde (Douglas, 1986 ; Descola, 2005). Les populations majoritairement présentes sur le littoral en Guyane (Amérindiens, Marrons et Créoles) avaient privilégié des formes d’appropriation et de gestion collective du foncier et une certaine mobilité de l’habitat et des activités. Aujourd’hui se sont imposés des modes européens d’occupation du territoire, impliquant propriété privée et sédentarisation des populations. En milieu rural, ces modes d’occupation du territoire tendent à se développer, en ville, ils représentent le fondement des politiques d’aménagement.

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L’équipe DYALOG sur le terrain kouroucien, 20 juin 2017. Philippe Cuny

Dans quelle mesure des formes de mobilité perdurent-elles dans ce nouveau contexte, comme des tentatives de réponse aux changements environnementaux vécus ? Et ces nouveaux modes de gestion des territoires ne viennent-ils pas entraver la capacité des collectifs à s’adapter aux changements côtier et environnemental, comme ils ont su le faire par le passé ? Enfin, les anciens modes d’adaptation (généralement fondés sur une lecture non prométhéenne des rapports à la « nature ») sont-ils toujours applicables dans le contexte actuel ?
Afin de répondre à ces questions, trois sites aux caractéristiques géomorphologiques et humaines très différentes ont été retenus comme terrains de recherche interdisciplinaire.
Le premier est le lieu de vie des Amérindiens Kali’na, entre la rive surinamienne du Maroni et l’estuaire de la Mana, qui a connu une forte érosion du trait de côte ces dernières années. Récemment, l’installation d’un banc de vase a entraîné une importante diminution du nombre de pontes des tortues luth et menace l’activité d’accueil touristique développée dans les villages, alors que l’arrivée de la mangrove empêche l’accès à la mer pour la pêche. Associant enquête ethnographique et relecture des données historiques et cartographiques, on explicitera les logiques de l’occupation du territoire en regard des variations historiques et spatiales des différents paramètres socio-culturels et environnementaux. Globalement, on tentera ici de mieux comprendre le processus historique qui a fait que ces populations, autrefois mobiles mais devenues sédentaires, peuvent de moins en moins exercer leur capacité d’adaptation et de résilience et font désormais l’expérience d’une certaine vulnérabilité. On s’interrogera également sur le rôle que peuvent aujourd’hui jouer de nouveaux risques (p.ex., diminution de certaines ressources exploitées, pollutions, croissance démographique) dans l’apparition de cette vulnérabilité.
Le deuxième site englobe les communes créoles de Sinnamary et d’Iracoubo et le village Kali’na de Bellevue-Yanou. Dans cette petite région, qui a subi des changements côtiers très importants durant le dernier demi-siècle (Fromard et al., 2004), de précédents travaux (Palisse, 2013) ont mis en évidence les formes traditionnelles de mobilité des populations – tant Créoles qu’Amérindiennes – au gré des transformations du milieu. Cette mobilité adaptative permettait la recherche de lieux d’interface optimisant l’accès aux ressources de la mer, de la forêt, de la rivière et des savanes. Comment cette mobilité peut-elle aujourd’hui se maintenir et être revendiquée comme une ressource pour ces populations, entre désordres côtiers, pressions foncières et projets de développement impulsés par l’État ?
Le troisième site est celui de l’agglomération de Kourou, où le fort recul de la plage menace directement certains quartiers et le village amérindien. Dans cette zone totalement urbanisée, les transformations que connaît le littoral mobilisent fortement les pouvoirs publics – Commune, Collectivité Territoriale de Guyane, services de l’État – ainsi que les habitants, parfois constitués en association. Nous construirons ce troisième terrain en nous attachant à une observation des jeux d’acteurs (institutionnels ou privés, mais aussi scientifiques) qui se développent autour de la menace environnementale, de la perception des risques et de la mise en œuvre des modes d’action, dans un contexte foncier très contraint et selon une vision technicienne et métropolitaine de la gestion de l’aléa. Une stagiaire de M2 renforce l’équipe sur ce volet de la recherche pour la conduite d’entretiens de terrain.
Sur chacun de ces trois terrains, l’accent sera mis sur les savoirs des populations et sur la manière dont elles ont composé avec diverses contraintes/pressions, environnementales mais tout autant économiques, socio-politiques et administratives, tout au long de leur histoire moderne. Dans cette perspective, on prendra en considération différentes temporalités emboîtées, celle des changements géomorphologiques et environnementaux, celle que dévoilent les archives, celle de la mémoire humaine et celle d’un temps « immédiat » dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les atteintes au milieu constatées par les populations et dans lequel se place l’action.

La restitution des résultats de la recherche en direction des gestionnaires de ces territoires sera un souci constant, dans la perspective de leur proposer des clés de lecture et des modèles aidant à la décision. Ce projet est complémentaire du projet VIMOG – VIdeo MOnitoring for Guianese beach morphodynamics and management – qui étudie à très fine échelle temporelle les processus côtiers à l’aide de données vidéographiques. Les observations et résultats de ce dernier projet seront utilisés par les membres de DYALOG (dont certains sont aussi partenaires de VIMOG) comme support de discussion auprès des gestionnaires des espaces littoraux.

 

Source : www.guyane.cnrs.fr