Retour sur la deuxième journée de l’EUCC Guyane (1ère partie) : focus sur les littoraux de Mana et Awala-Yalimapo.
.
« Les rizières de Mana sont d’anciens marais d’eau douce à saumâtre et des zones de mangroves converties en polders agricoles. Un suivi sur 38 années (1976-2014) à partir d’images satellite, d’orthophotos aériennes et des mesures sur le terrain (topographie, hydrodynamisme) montrent que l’ancien polder a été érodé de façon persistante, à des taux ayant pu atteindre 200 m par an. Durant la même période, des zones à mangroves adjacentes montrent une forte résilience, typique des tronçons de côte non perturbés par l’anthropisation. » (GDR LiGA, CNRS). Cette érosion massive du polder de Mana depuis une quarantaine d’années entraîne une augmentation du degré de la pente d’avant-côte, qui empêche l’installation d’un banc de vase, condition indispensable pour la colonisation du site par la mangrove.
L’érosion du polder est également accompagnée par la formation d’un chenier sableux libre : les sables sont transportés vers l’arrière-plage par l’action du vent et des houles, entraînant un recul du trait de côte. Dans le cadre du programme de recherche GUYACHENIER, les plus anciens cheniers de Guyane ont été datés à – 12 000 ans BP. Ces cheniers évoluent indépendamment du changement climatique : si le stock sédimentaire est suffisant, les formations sableuses avancent ou reculent au gré de la migration des bancs de vase.
Grâce aux directives européennes sur la protection des zones humides, la mangrove de Guyane est encore largement exempte des dégradations que connaissent ses voisins. La construction d’un mur le long du littoral du Guyana, en empêchant la colonisation de la côte par la mangrove, a exacerbé les phénomènes d’érosion. Environ 50 % du PIB du Guyana est consacré à la mise en place de ces murs et enrochements. La situation commence à devenir préoccupante au Surinam, notamment à l’ouest de l’estuaire du fleuve éponyme, en érosion depuis une soixantaine d’années. La fragmentation et la dégradation anthropique de la mangrove peuvent modifier durablement la dynamique du trait de côte en limitant sa résilience, même lorsque l’apport en vase est important.
.
Au début des années 1980, une partie de la Savane Sarcelles a été convertie en un grand polder à vocation rizicole de plus de 5 000 ha. Dès le début des années 2000, et jusqu’en 2016, le polder a connu une phase inter-banc provoquant une forte érosion de plus de 1,5 km. Au problème d’érosion se sont ajoutés les modifications réglementaires d’exploitation (produits phytosanitaires…), les changements de propriétaires et des difficultés économiques qui ont précipité la fin du projet de développement rizicole du site. En 2010, le dernier exploitant fait faillite. Les rizières sont alors rachetées par Jean-Marc HAVARD, exploitant agricole à Mana. Le Conservatoire du Littoral, lui, est propriétaire de 1 500 ha (dont 250 ha totalement immergés à l’heure actuelle) et dispose d’un droit de préemption sur 1 650 autres ha.
Cette déprise agricole a entrainé dans un premier temps la création d’habitats humides ouverts très riches en biodiversité. En effet, le polder est connu pour sa richesse ornithologique remarquable et unique à l’échelle de la Guyane. Il permet chaque année l’accueil de dizaines de milliers d’oiseaux de plus de 200 espèces différentes, dont des limicoles migrateurs pour lesquels les enjeux de conservation sont d’ordre mondial.
Aujourd’hui faute d’entretien, le milieu tend à se fermer. Dans le cadre du programme ADAPT’O du Conservatoire du Littoral, une étude du BRGM est en cours pour tenter de modéliser l’évolution du trait de côte à moyen et long terme. Cette étude servira à l’élaboration du plan de gestion du site et permettra de définir la limite entre zone naturelle et zone de gestion souple (entretien des milieux ouverts par la présence de bovins, valorisation éco-touristique basée sur l’observation de l’avifaune, balades en kayak…). Une thèse va également débuter pour l’étude de la perception des populations sur les importants changements morphologiques du site. Le Muséum National d’Histoire Naturelle s’est également intéressé aux rizières en créant un indice de qualité écologique du site. Enfin, l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles a réalisé une étude paysagère pour la valorisation touristique d’une partie du polder.
De gauche à droite : déplacement en tracteur sur le polder de Mana, chenier actuel et intervention d’Edward Anthony sur la plage
Laisser un commentaire